Internet comme entremetteur Spécial

Nombre de jeunes croyants peinent à trouver un conjoint avec qui fonder la famille chrétienne à laquelle ils aspirent. Depuis plusieurs années, des sites de rencontre confessionnels se développent pour les aider dans leur recherche.
«Les hommes ne courtisent plus beaucoup, surtout les catholiques. #MeToo et le néo féminisme ont fait leur œuvre… Beaucoup semblent même peinards dans leur célibat confortable.» Alice constate la chose sur un ton qui n’est même pas dépité. Depuis quelques mois, cette médecin lyonnaise de 30 ans cherche l’amour, la fidélité et le mariage chrétien sur Navis Fidelis, un site lancé voici un peu plus d’une année en France qui envisage de s’implanter en Suisse romande (lire encadré). Elle n’est de loin pas la seule chrétienne à chercher l’âme sœur en ligne. A l’approche de fêtes familiales ou de la Saint-Valentin, nombre de jeunes catholiques célibataires se posent pour la énième fois la question qui les taraude: «Comment rencontrer la perle rare qui partage ma foi, souhaite se marier à l’église et fonder une famille?».
Des valeurs partagées
Comment, et surtout où? Car il n’est pas certain qu’ils la trouvent sur des applications de rencontre traditionnelles où l’aventure sans lendemain semble souvent la norme. Et à l’heure où, selon l’historien Guillaume Cuchet, à peine 2% des Français vont encore à la messe régulièrement et où, d’après l’Office fédéral de la statistique, seuls 11,1% des catholiques de notre pays fréquentent un service religieux une fois par semaine, il n’est pas sûr non plus que les chances soient optimales en se bornant à fréquenter sa paroisse… Résultat: les sites dédiés aux célibataires chrétiens prospèrent. Fondé voici près de quinze ans, Theotokos.fr, qui se présente comme le «leader français des sites de rencontre chrétiens», affiche fièrement plus de 250’000 personnes inscrites depuis sa création. Citons aussi l’antenne française du site christianloving.com qui se propose de «vous faire rencontrer de vrais chrétiens célibataires près de chez vous». Ou encore l’application Heavn, fondée il y a deux ans dans la région de Bordeaux et qui revendique 50’000 membres chrétiens. Ces sites ne sont pas les seuls de ce type sur le marché. Juifs et musulmans ont les leurs.
«De manière générale, l’âge moyen du mariage recule drastiquement et de plus en plus de personnes restent célibataires. La déchristianisation aggrave cette tendance. Dans mon ministère, je constate qu’elle génère beaucoup d’inquiétude et de souffrance», explique l’abbé Laurent Spriet, prêtre diocésain de Saint-Georges, l’une des plus grandes paroisses lyonnaises, de tendance traditionaliste. Il a voulu changer la donne en lançant Navis Fidelis comme une bouteille à la mer.
«Entre célibataires catholiques, on se sent plus en confiance. On sent plus de bienveillance et moins de jugements», explique Adrien, 40 ans, chargé de clientèle. Ce Lyonnais a longtemps fréquenté les sites de rencontre, chrétiens ou non, en espérant trouver une compagne. Ses démarches ont débouché sur peu de choses concrètes et rien de très concluant. «Passer par un site catholique permet de gagner du temps. On sait d’emblée qu’on partage les mêmes valeurs et aussi le projet de fonder une famille. Sur des sites classiques, il faut souvent plusieurs rendez-vous avant d’arriver à échanger sur de tels sujets.»
«Entre célibataires catholiques, on se sent plus en confiance»
Avec l’aide de Dieu
Romain Philipps, infirmier de 37 ans vivant à Lausanne, abonde dans ce sens et reste serein: «Etre célibataire est une épreuve que je vis dans la paix et confiant que je trouverai une fiancée avec l’aide de Dieu, que ce soit sur un site ou ailleurs». Cet état transitoire lui offre une plus grande disponibilité professionnelle, sociale, sportive et associative. Plus de place aussi pour la prière et la messe, qu’il met au centre de sa vie. «Mes histoires m’ont fait grandir et je reste ouvert de cœur à une belle rencontre. Me marier et avoir des enfants est un désir profond, mais je garde à l’esprit que Dieu nous demande avant tout de devenir saints. Le mariage est un moyen d’y parvenir. Un temps, j’ai cherché l’amour sur un site chrétien, mais c’est au détour d’activités chrétiennes qu’il s’est approché. Il faut être proactif, mais sans excès dans sa recherche, et ne pas s’enfermer dans la rigidité. Ma foi est mon plus grand trésor. L’amour ne m’en écartera pas», confie-t-il.
Son de cloche similaire du côté d’Alice. La jeune femme constate que son statut de médecin et de propriétaire déstabilise certains hommes en renvoyant d’elle une fausse image: «Je ne suis pas une farouche indépendante. Simplement, j’avance dans ma vie sans attendre d’être en couple. Mais mon vœu reste de trouver l’amour et d’avoir des enfants». Cette trentenaire dynamique a fréquenté deux sites chrétiens dans cette optique. Même là, sa foi a parfois rebuté. Etre croyant réduit le champ des possibles, constate-t-elle. «Dans le milieu catho, la pression à se caser est forte. Cela ne me pèse pas. Même si l’horloge tourne, je suis confiante et j’applique ces paroles de sainte Thérèse: ‘Toujours prier comme si l’action était inutile et agir comme si la prière était insuffisante’.»
«Aide-toi, le ciel t’aidera»
A la fin de l’entretien, Adrien confie pudiquement avoir récemment commencé une relation amoureuse avec une femme dont il a fait la connaissance lors d’un évènement organisé par un membre d’un site chrétien qu’il fréquente: «Nous apprenons à nous connaître et même si rien n’est encore officiel, cela me rend heureux». De quoi conclure qu’en matière d’amour comme dans beaucoup d’autres domaines, le fameux «aide-toi, le ciel t’aidera» semble une devise judicieuse.
Laurent Grabet
Un site volontairement restrictif
En février 2022 était lancé Navis Fidelis (navire fidèle). Présent dans plusieurs villes de France, il est le seule site francophone à s’adresser exclusivement aux catholiques pratiquants. «On n’y trouve pas de photos, de chat ou de match dating, mais uniquement des rencontres réelles de groupes mixtes organisées par les membres qui peuvent déboucher sur des rendez-vous en tête-à-tête ou non. La providence fait le reste», explique Rémi Pellerin, doctorant en informatique de 28 ans et cofondateur du site. Celui-ci, qui se revendique «restrictif», propose de mener à bon port uniquement les catholiques pratiquants de plus de 26 ans. Les personnes divorcées, déjà mariées ou cherchant un conjoint du même sexe ne sont pas les bienvenues, contrairement aux veufs et veuves. Chaque membre doit être parrainé par un «référent ecclésial» contacté par l’équipe du site. Enfin, les candidats à l’inscription doivent signer une charte attestant qu’ils sont baptisés ou catéchumènes, qu’ils désirent se marier sacramentellement dans l’idée de fonder un foyer chrétien ou encore qu’ils vont à la messe et se confessent régulièrement. Ils s’engagent aussi à vivre leurs futures fiançailles dans la chasteté. «Rien de plus que ce que demande l’Eglise. Ainsi seulement, les rencontres que nous favorisons seront fructueuses», commente l’abbé Laurent Spriet.
Succès et critiques
Le premier mois, plus de 700 personnes se sont inscrites sur le site. Aujourd’hui, elles sont 1350 dont près de deux tiers de femmes. Ce succès semble révéler une vraie demande chez les jeunes cathos célibataire pratiquants qui seraient 100’000 en France, selon Rémi Pellerin. «Des personnes qui se sont inscrites sur d’autres plateformes nous ont fait part de leur déception parce qu’elles avaient en face d’elles des personnes qui n’étaient pas catholiques pratiquantes malgré ce qu’elles pouvaient écrire sur leur profil», précise l’Abbé Spriet. Qui explique que les membres de Navis Fidelis sont «contre le plan d’un soir, d’un mois, ou même d’un an». Lors de son lancement, le site avait été mis en lumière sur divers grands médias français. Le site de la maison d’édition catholique Golias avait dénoncé un «entre-soi» et un «communautarisme rassurant». «Nous nous adressons aux célibataires catholiques de toute obédience et nous ne prétendons pas pour autant qu’on ne puisse pas faire de belles rencontres hors du cercle catho», réplique le bénévole Rémi Pellerin.