Le syndrome de Noé Spécial

Certaines personnes vivent avec des dizaines d’animaux dont elles n’arrivent plus à s’occuper. Un peu partout en Suisse romande, la Société protectrice des animaux (SPA) décrit des «scènes d’horreur».
L’odeur. C’est la première chose qui frappe quand vous franchissez le seuil, et parfois même avant d’entrer. Dans tous les logements occupés par une personne qui souffre d’un syndrome de Noé, les relents d’urine sont si forts qu’ils vous prennent au nez. Des dizaines de chats, chiens, rongeurs et autres petits animaux domestiques sont entassés à l’intérieur sans jamais pouvoir sortir, livrés à eux-mêmes et tellement mal nourris que certains sont en train d’agoniser, voire déjà morts.
A l’instar de Noé qui, dans le livre de la Genèse, construit une arche pour sauver du déluge ses proches et deux spécimens de toutes les espèces animales, certaines personnes accueillent sous leur toit toutes sortes d’animaux domestiques en pensant les sauver. Malheureusement, c’est l’inverse qui se produit faute de place et de moyens financiers pour les nourrir.
Le syndrome de Noé a été décrit pour la première fois vers la fin des années 1980 par le vétérinaire et épidémiologiste nord-américain Gary Patronek. Selon lui, il s’agit d’un besoin irrépressible, compulsif, de s’entourer d’une meute d’animaux pour combler un vide affectif. Le plus souvent, il s’agit de chats et/ou de chiens, mais on trouve aussi des espèces exotiques, sauvages, voire dangereuses. Propriétaire dépassé La situation finit fatalement par entraîner un envahissement de l’espace vital de la personne et une dégradation des conditions de salubrité. Complètement dépassé, le propriétaire ne parvient plus à s’occuper correctement des animaux. Lorsque les autorités interviennent, la plupart sont malades; dans 80% des cas, elles trouvent des cadavres.
Interrogé, Julien Elowe, médecin chef de service au département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), affirme qu’il existe des correspondances avec le syndrome de Diogène, où la personne accumule sans fin des objets inutiles, voire inutilisables, y compris des déchets.
Intervention nécessaire
Le syndrome de Noé est bien connu des associations de protection des animaux: elles interviennent régulièrement, sur demande des services vétérinaires ou de la police. Environ six cas sont recensés chaque année dans le canton de Vaud et cinq à Genève. Stéphane Crausaz, responsable de la communication de la SPA vaudoise, parle de «scènes d’horreur». Il se souvient notamment d’une femme qui vivait avec 25 chiens dans une petite maison de 4 ou 5 pièces sur les hauts de Pully. «En entrant, on a découvert un chien égorgé par ses congénères et le temps qu’on s’occupe de ceux qui se trouvaient à l’intérieur, d’autres l’avaient à moitié dévoré.»
«Une fois, on a récupéré 48 chats, 3 chiens, 6 lapins et 7 ou 8 oiseaux.»
A Genève, la présidente de l’association SOS chats, Valérie Derivaz, décrit des situations semblables avec en moyenne une quinzaine de chats par appartement. «Dans les cas les plus graves, il y en a plusieurs dizaines et certains sont en train de mourir parce qu’on ne les nourrit même plus», témoigne-t-elle. A Glovelier, le président de l’Association jurassienne de protection des animaux (AJPA), Joseph Broquet, n’a connu que trois cas en huit ans, mais ils étaient «lourds». L’émotion est palpable quand il raconte: «Une fois, on a récupéré 48 chats, 3 chiens, 6 lapins et 7 ou 8 oiseaux dans une toute petite maison. Le sol était jonché de déjections. On a dû porter des masques pour intervenir avec la police et la commune. Puis la maison a dû être désinfectée. Il y avait des chats malades, d’autres morts. Les chiens étaient attachés au bas de l’escalier et faisaient leurs besoins sur un carton».
D’après la littérature, le syndrome de Noé touche plus fréquemment les femmes de plus de 40 ans vivant dans la précarité et l’isolement social. Ironiquement, leur amour dévorant pour les animaux aggrave encore l’état de leurs finances. Toutefois, selon Julien Elowe, divers profils coexistent. Ce que confirme Stéphane Crausaz: «On trouve aussi des gens aisés. Je me souviens d’une femme qui était fondé de pouvoir dans une banque genevoise et qui vivait avec soixante chats dont beaucoup ont été trouvés morts. Rien, à première vue, ne permettait d’imaginer une telle chose». L’hypothèse la plus probable est qu’il est plus facile aux gens aisés de maintenir les apparences et donc de passer inaperçus.
Evolution du statut des animaux
Mais il n’est pas exclu que le syndrome de Noé se soit en quelque sorte «démocratisé» au fil du temps et qu’il touche à présent toutes les franges de la population.
La vétérinaire Pauline Désormière, employée au sein de la clinique Vethippo’dôme à Ennezat, dans le Puy de Dôme, estime que l’évolution du statut de l’animal domestique dans les sociétés modernes ne serait pas étrangère à la progression du syndrome de Noé. En clair: la reconnaissance de l’animal en tant que membre à part entière du foyer l’exposerait à un risque de maltraitances «familiales».
Théoriquement, les personnes concernées sont passibles de sanctions pour violation de la loi sur la protection des animaux. Cependant, l’intervention précoce est rendue très compliquée par le droit au respect de la propriété privée et de la liberté individuelle. A cela s’ajoute un déni pathologique: les propriétaires sont absolument persuadés de faire le bien. Conscients malgré tout du danger qu’ils courent à laisser s’approcher des étrangers, ils vivent souvent coupés du monde.
Avec le temps, il n’est pas rare que des conflits de voisinage éclatent. Il devient alors possible de forcer la porte pour secourir les animaux en détresse. La prise en charge thérapeutique du propriétaire, elle, reste problématique en raison du déni. Les études mentionnent des taux de récidive dans 50% à 100% des cas.
Francesca Sacco
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