Petite histoire des Jeûnes Spécial

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  • Dans la paroisse du Joran, à Saint Aubin, les paroissiens partageront des gâteaux aux pruneaux maison le dimanche du Jeûne fédéral. Dans la paroisse du Joran, à Saint Aubin, les paroissiens partageront des gâteaux aux pruneaux maison le dimanche du Jeûne fédéral.

    Les Genevois dégustent une tarte aux pruneaux lors de leur jeudi férié de septembre (cette année le 8) alors que le reste de la Suisse fête le Jeûne fédéral une dizaine de jours plus tard. Si la pratique du jeûne a disparu, l’histoire laisse encore des traces, en particulier au sein des Eglises.

    Dans le canton du bout lac, il est fréquent de prendre congé le vendredi pour faire le pont du Jeûne genevois. Une habitude inexistante chez les voisins vaudois, qui bénéficient quant à eux d’un week-end prolongé avec un jour férié le lundi du Jeûne fédéral (fêté cette année le 18 septembre). A part un temps de repos pour certains cantons et la dégustation de la tarte aux pruneaux, que reste-t-il de cette tradition, et pourquoi les Genevois se distinguent-ils de leurs compatriotes?

    En Suisse, les premiers documents attestant la pratique du jeûne comme journée de prière collective inspirée de la Bible remontent au 16e siècle. «C’est un contexte où la population, largement croyante, est convaincue que ce qui arrive aux collectivités sont des épreuves ou des bénédictions envoyées par Dieu», explique François Walter, professeur d’histoire de la Suisse à l’Université de Genève aujourd’hui retraité. Ainsi face à une épidémie, une guerre ou une catastrophe naturelle, on s’amende par des pratiques de pénitence.

    A partir du 17e siècle, l’Eglise protestante organise des journées de jeûne collectives et fixes, le plus souvent annuelles. Les catholiques lui emboîtent bientôt le pas. «Cette pratique est plus présente dans le monde protestant qui ressent fortement des menaces à son encontre», poursuit François Walter. Qui précise d’ailleurs que la terminologie «jeûne» provient de la tradition protestante à laquelle les catholiques préfèrent aujourd’hui celle de «fête fédérale d’action de grâce». Celle-ci met l’accent sur une autre motivation à faire pénitence et prier, présente déjà durant la guerre de Trente ans: on avait à cette époque remercié Dieu d’avoir épargné le pays du fléau de la guerre sévissant en Europe.

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    Identité genevoise

    Catholiques et protestants s’entendront finalement pour définir un jour de jeûne national commun: ce sera en 1796, dans un climat politique tendu avant l’invasion des armées de la France révolutionnaire. Ce jour a lieu par la suite chaque année début septembre. «L’automne est une période propice, on a fini les récoltes et les vendanges. C’est un temps pour remercier», continue l’historien. Mais les cantons définissent chacun la date qui leur convient. Si bien que le 1er août 1832, la Diète fédérale – les assemblées des députés des cantons – déclare le troisième dimanche de septembre jour de jeûne pour tout le pays. Le temps a vu s’ajouter à la tradition le lundi de congé dans certains cantons protestants: en Suisse romande, Vaud, Neuchâtel et une partie du Jura bernois.

    Si les Grisons se rebiffent et conservent leur propre date avant de rentrer dans le rang en 1848, les Genevois résistent encore et toujours, avec comme date le jeudi suivant le premier dimanche du mois de septembre. Pourquoi cette exception? «Il est une forte tradition du jeûne ancrée dans la cité de Calvin que l’on associe en premier lieu au massacre des protestants de Lyon en 1567», rappelle Claude Bonard, chroniqueur historique genevois.

    Et non au massacre de la Saint-Barthélémy en 1572, comme l’a démontré déjà dans les années 1970 l’historien Olivier Fatio. Le contexte politique y est aussi pour quelque chose: «Avec le rattachement des communes françaises du Pays de Gex et savoyardes du royaume de Piémont-Sardaigne en 1815, les autorités genevoises sont horrifiées par l’arrivée de ces habitants catholiques et les protestants craignent de perdre leur identité», explique le passionné. Le Jeûne genevois devient l’occasion de réaffirmer l’identité protestante de Genève. Selon Justin Favrod, coéditeur de la revue d’histoire de la Suisse romande Passé simple, avec la montée au pouvoir des radicaux, plus tournés vers la Confédération, le Jeûne fédéral sera rétabli dès 1869 et la fête genevoise perdra de son aura…Mais une loi votée en 1966 la rétablira comme jour férié. Sans aucun motif religieux.

    Menu du Jeûne

    Même si certaines Eglises vivent encore ces jours de manières différentes (lire encadré), pour François Walter, c’est aujourd’hui «une tradition vide»: «Au 19e siècle, le culte du Jeûne durait du matin jusqu’en début d’après-midi. Je me rappelle aussi avoir vu dans les montagnes neuchâteloises durant les années 1960 comment on portait, la veille du Jeûne, les tartes aux pruneaux chez le boulanger pour les faire cuire. Le culte étant long, on n’avait pas le temps de cuisiner et elle servait de collation pour le repas de midi». Aujourd’hui, la tarte fait office de dessert après un bon repas. «Dans les années 1950-60, certains restaurants genevois affichaient même un ‘menu du Jeûne’ », se remémore avec amusement Claude Bonard. L’ancien vice-chancelier d’Etat fait remarquer que le culte du Jeûne genevois ne fait plus partie des célébrations dites officielles auxquelles des représentants des corps constitués assistent obligatoirement. Des coutumes demeurent au sein des croyants: du côté catholique, à partir de 1886, les évêques suisses ont rédigé une lettre pastorale à lire lors des messes du Jeûne fédéral. Pratique qui a cessé il y a une dizaine d’années, selon le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, par respect pour la tradition plus ancienne des célébrations oecuméniques.

     

    Vivre le Jeûne

     

    En Suisse romande, les prières, symboles et actions associés aux jours du Jeûne varient selon les paroisses et les cantons. A Fribourg, la cathédrale Saint-Nicolas invite à une célébration oecuménique. Ce dimanche-là, le sacristain suspend un drapeau suisse à la poutre de gloire de l’édifice religieux. Un élan patriotique aussi visible du côté de Lausanne, à la chapelle Saint-Augustin, où l’on célèbre la messe selon le rite tridentin. «Nous prions ensemble une hymne vaudoise et la ‘Prière pour la Patrie’ de Mgr Marius Besson en demandant à Dieu de protéger notre pays et de nous accorder la paix», explique l’abbé Benjamin Durham.

    Dans le canton de Neuchâtel, les Eglises réformée, catholique chrétienne et catholique romaine co-signent un message lu lors des célébrations du dimanche du Jeûne et veut sensibiliser à sa dimension sociale. «L’association Action Jeûne Solidaire propose des projets à soutenir, comme cette année une action pour améliorer l’approvisionnement en eau potable au Niger. Les gens peuvent faire un don durant le culte ou la messe», expose Yvena Garraud Thomas, pasteure à la paroisse réformée de La Côte. A l’occasion du Jeûne genevois, l’Eglise protestante de Genève (EPG) organise quant à elle un culte commémoratif en alternance avec une journée de formation mettant en avant les communautés migrantes protestantes. Historiquement, pour l’EPG, le Jeûne genevois est «une façon de marquer sa solidarité avec ceux qui souffrent. Aujourd’hui, c’est aussi une façon de mettre l’accent sur la richesse et la diversité des expressions de la foi protestante».

     

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