Les difficultés du monde musical Spécial
Les festivals sont de retour avec la saison chaude, mais pas tous les professionnels qui contribuaient à leur bon fonctionnement. Eclairage sur les mutations d’un secteur fragilisé.
«Le coronavirus a sauvé mon couple!», affirme Séverine*. La petite blonde aux yeux noisette en avait ras-le-bol. Non pas de Maxime*, son compagnon depuis douze ans, mais de son travail. Le trentenaire était ce que l’on appelle, dans le milieu de la musique et des festivals, un roadie. Or, aucun festival, surtout en plein air, ne peut se passer de ces «petites mains» à tout faire.
Certaines roadies sont les fidèles sherpas des groupes de musiciens qu’ils accompagnent dans leurs tournées. D’autres sont des intermittents du spectacle – profession non reconnue en Suisse – qui montent et démontent les scènes, s’occupent de la technique, de la logistique et de tout ce qui contribue à ce qu’un concert soit possible et audible. Depuis la fin de son apprentissage en menuiserie, Maxime, féru de musique, était l’un d’eux. C’est d’ailleurs grâce à ce travail payé au lance-pierre qu’il a rencontré Séverine en France. Un coup de foudre suivi de deux bambins.
La subsistance des roadies
«A cette époque, je l’accompagnais parfois dans ses voyages, raconte Séverine. Si le confort n’y était pas, et la paie non plus, l’insouciance de la jeunesse et l’ivresse de la musique nous suffisaient. Mais tout a changé à la naissance de notre premier enfant.» Arrive 2020 et la Covid-19, une hécatombe pour le monde de l’événementiel. Déjà guère fortunée, la petite famille se retrouve dans le rouge. Le salaire de secrétaire de la jeune femme, au chômage partiel forcé, et le zéro revenu de Maxime exacerbent les tensions. «Il était rarement là. J’assumais tout…», souffle-t-elle. En 2021, c’est la grande surprise. «Notre troisième gamin sera magicien. Se pointer malgré la pilule, il fallait le faire!», sourit l’heureuse maman. Le papa acquiesce: «Je devais prendre mes responsabilités». Reconverti dans le secteur de la construction, il n’a pourtant pas rompu avec sa passion. Son rêve? Enregistrer un album. «Oui, mais ne rêve pas trop. Tu as déjà vu un Suisse en star mondiale?», plaisante à peine sa tendre moitié.
Des difficultés de subsistance des roadies à la vie précaire des musiciens, il n’y a qu’un pas et quelques accords de guitare. Malgré la pléthore de festivals en Suisse, la notoriété des artistes locaux est faible sur la scène internationale. Pour plusieurs raisons. Selon Daniel Rossellat, fondateur et directeur du Paléo Festival, la taille du marché local joue un rôle essentiel dans l’éclosion de la renommée: «La Suisse est un petit pays, qui de plus n’investit pas dans l’exportation de ses artistes. Les vedettes romandes sont rarement connues outre-Sarine. Et vice versa. Quant au Paléo, 20% de sa programmation est dédiée aux musiciens suisses, souvent méconnus du grand public malgré leur talent». Complexes et cachets Mathieu Jaton, PDG du Montreux Jazz Festival, parle également de la politique fédérale: «Il y a certes un soutien à la culture en Suisse. Sauf qu’il fonctionne en mode saupoudrage: on donne un peu à tout le monde. Ce qui, au final, n’aide pas vraiment les musiciens. D’autant que, contrairement au cinéma et aux musées, le secteur de la musique ne bénéficie pas d’un programme d’aide fédérale spécifique. Dans un tout autre registre, le caractère suisse, qui valorise la modestie et la discrétion, fait que, chez nous, on n’aime pas créer des stars».
Quant à Raphaël Nanchen, fondateur des festivals Caprice et Polaris, il pointe la perception de la profession de musicien: «En Suisse, on a souvent un complexe d’infériorité. En Suède, pays qui a le même nombre d’habitants, la profession d’artiste est totalement décomplexée, et même encouragée, tout comme le fait de vivre de son art. Tandis que chez nous, la musique, à part l’enseignement, n’est pas vue comme un métier sérieux ou une discipline à part entière. C’est donc avant tout une question de crédit accordé à une orientation professionnelle».
En outre, les cachets des musiciens varient beaucoup d’un artiste à l’autre. Ainsi, un festival suisse peut rétribuer un groupe méconnu à hauteur de 400 francs et sortir un chiffre à six zéros pour une tête d’affiche, surtout si la célébrité en question se fait rare sur scène. Cette valorisation dépend beaucoup de la capacité qu’a la vedette d’attirer la foule. Un atout devenu essentiel après l’effondrement de l’industrie du disque (encadré), qui a joué un rôle non négligeable dans l’émergence des festivals à travers le monde. Aujourd’hui, les événements estivaux sont une des principales sources de rémunération des artistes.
Exit l’amateurisme
Autre grande nouveauté ces quinze dernières années dans le secteur de la musique: la professionnalisation du métier de producteur de festival. D’abord en raison de la concurrence féroce. Stefan Breitenmoser, président de l’Association suisse des organisateurs professionnels de concerts (SMPA), confie: «Avec tous les concerts annulés et reprogrammés pour 2022, le marché est face à une suroffre. Cela profite aux grands festivals alors que les petits se heurtent à l’hésitation du public». Ainsi, les préventes pour les événements de l’automne-hiver 2022 ne sont pas encore en cours, contrairement à 2019, «puisque les gens prennent désormais leur décision d’achat à plus court terme. D’où la difficulté pour les promoteurs d’évaluer le seuil de rentabilité de leurs manifestations».
A cela s’ajoutent le manque de roadies et des coûts d’organisation toujours plus élevés dont la gestion demande des connaissances solides dans les domaines de la comptabilité, de l’assurance, du droit, du marketing, du sponsoring, de la communication et, bien entendu, de la musique! Sans oublier la compréhension de la politique culturelle du pays: si la Romandie n’offre guère de cursus spécialisé en production de festivals, elle compte néanmoins des formations payantes en gestion de projets culturels.
Ces enseignements font l’objet de diplômes et de certificats obtenus au bout d’une année d’études environ auprès de la Haute école de musique (HEM) ou de la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles (FCMA). Pour des cours thématiques de quelques heures, il faut se tourner vers l’association Artos qui en propose plusieurs par an. La bonne nouvelle, c’est que «avec moins de 500 francs, on peut créer une association et se lancer dans l’événementiel», souligne Ani Gasparyan, productrice à l’agence MusiKa qui, en pleine pandémie, a lancé le Festival des Bastions avec Stradivarius Art & Sound et le café-restaurant du parc éponyme.
*nom d’emprunt
Anna Aznaour
La dure vie du disque
Avant Thomas Edison, on ne pouvait écouter que de la musique «vivante». Mais, en 1877, avec l’invention du phonographe, le scientifique américain révolutionne le mode de jouissance de cet art. L’enregistrement naît. Depuis, ses supports ont connu des évolutions incessantes: disque, vinyle, cassette audio, CD, MP3, etc. Ainsi, rien que pour l’année 2001, le chiffre d’affaires mondial pour la musique enregistrée tous formats confondus s’élevait à quelque 33,7 milliards de dollars!
Une industrie sapée par le Net
Et puis internet est arrivé... Avec sa dématérialisation, sa numérisation et sa «gratuité» de la consommation sur des plateformes en ligne telles que YouTube, Dailymotion, Deezer, Spotify et tant d’autres. Alors, en à peine sept ans, l’industrie du disque s’effondre. Avec elle, c’est tout le modèle économique des producteurs et des musiciens qui subit une transformation profonde. Mais si la visibilité qu’offre le Web assure aux artistes leur quart d’heure de gloire, en revanche il ne les nourrit pas du tout. D’où les nouvelles stratégies des professionnels, qui misent désormais sur la diversification de leurs revenus. Cela passe par la vente de produits dérivés (tee-shirts, accessoires divers, etc.) qui transforme les artistes en marques, nourrissant un star-system dont les réseaux sociaux sont devenus les relais. Dans cette logique, plus un artiste est célèbre, mieux les billets de ses concerts se vendent, attirant les foules dans les festivals, devenus indispensables à la survie de l’industrie.
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